installation vidéo et son; six portraits, boucle
dim.variables
On dit que la langue est le cadeau le plus précieux qu'une génération fait à la suivante.
Qu'est-ce qu'il arrive quand une mère ne peut pas parler sa propre langue à son fils ?
Ou elle devrait en apprendre une pour parler avec lui ?
Et surtout qu'est-ce qu'il arrive quand la seule langue qui serait naturelle pour cet enfant a été interdite pendant plus que cent ans et reste encore pratiquement inconnue ?ESBA, Ecole Supérieure des Beaux-Arts, Genève, 2002
Palais de l'Athénée, salle Crosnier, Genève, 2003
ALA EST, Museo Cantonale d'Arte, Lugano, 2004
I Paradossi dell'amicizia, CCS, Centro Culturale Svizzero, Milano, 2005
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Dans la vidéoinstallation "La bouche dans la main" le visiteur passe tout d'abord dans un espace noir, sombre, enveloppé par des bruits et des sons corporels, labiaux desquels il ne sait cueillir l'origine. En entrant dans le deuxième espace il se voit entouré de grandes images (portraits - fenêtres) de personnes qui racontent des histoires en Langues des Signes. Le visiteur entendant qui ne connaît pas les Langues des Signes, ne comprend pas, cherche à deviner, interprète : je dirais même, justement parce qu'il ne comprend pas, qu'il va observer et cueillir une série de signes, de tonalités émotives, de sensations qu'il ne cueillerait pas autrement. L'atmosphère est une espèce de grand aquarium de bruits liquides, où l'on ne sait pas si le poisson est celui qui regarde ou celui qui est dans l'image.
Seulement dans un deuxième temps le visiteur va avoir la possibilité d'accéder au sens de ce qu'on lui raconte, grâce à des dépliants avec la traduction écrite des histoires racontées.
Le visiteur sourd, au contraire, qui n'a pas accès à l'atmosphère auditive de la première partie de l'installation, pourra accéder de manière plus directe aux significations des récits (bien que les Langues des Signes soient différentes entre elles) et cueillir les inflexions « dialectales », de style, la richesse de vocabulaire de chaque protagoniste.
C'est un projet, un travail sur les et en Langues des Signes, les langues « parlées » par les communautés des sourds, des communautés profondément enracinées dans le territoire et aussi radicalement séparées, à cause des grandes difficultés de communication orale et écrite avec la majorité de la population.
Ces langues des Signes sont les seules, comme je disais, vraiment « naturelles » pour l'enfant sourd et qu'il ne peut apprendre, s'il en a la possibilité, que de sa « propre famille silencieuse », donc en dehors de son milieu familial, vu que l'enfant sourd naît neuf fois sur dix dans une famille entendante.
« Sous la mer, en train de faire une plongée, immergée dans l'eau : l'univers sonore représenterait cela pour moi. »
« Je regardais les personnes qui parlaient entre elles : je me limitais à les observer, je ne comprenais rien. »
« À l'école on nous apprenait à regarder les lèvres des personnes. »
« Il y a des gens qui parlent les dents serrées, mon beau-frère parle toujours avec la cigarette dans la bouche... ; les hommes avec barbe et moustaches: quel désastre ! je dis oui oui avec la tête et je m'en vais.
Croyant mieux faire certains hurlent. Ou d'autres qui viennent à deux centimètres de ton visage et tu ne vois plus rien. »
« -Écoute, arrête parce que tu t'ennuies...- On comprend immédiatement, parce que nous avons des yeux immenses, comme deux réflecteurs, pointés sur ce que nous voyons. »
« Notre chat ne miaule pas avec nous : quand il veut attirer notre attention, il vient devant nous et il nous tourne autour... »
« Si quelqu'un me parle en rêve, je ne comprends pas forcément, j'essaie de deviner, parfois je fais semblant.
Je me souviens que j'ai rêvé d'une personne entendante, à qui on avait coupé les mains et justement on lui avait mis des avant-bras de sourds et elle était devenue signeuse. »
« Étrange était ce petit microphone avec des écouteurs : je voyais que papa et les autres personnes ne l'avaient pas.
Quand j'ai vu à l'école maternelle que tous les autres enfants, eux aussi, avaient ce petit appareil, là j'ai compris qu'ils étaient comme moi, que les entendants étaient ailleurs, qu'ils étaient autre chose. »
« Plonger dans le silence : à vrai dire nous n'avons pas l'image de notre monde comme un monde de silence, dans le sens d'immobile, d'arrêté ; le silence est une étiquette que les entendants nous ont collé dessus.
Notre monde est un monde très vif, très coloré, très bruyant et selon moi en grand mouvement.
Quand il y a une panne du système électrique et que toute la maison plonge dans le noir, voilà le silence :c'est l'absence de lumière, l'obscurité totale, le silence. »
Citations de Monica Celotti, Orazio e Sandra Lucioni, Sharon Opreni, Rosella Ottolini, Anna Stroppini, Fred et Lionel Vauthey, protagonistes de cette installation;
traductions de Massimo Agustoni, Claudia Castelli, Gaby Lüthi , (LIS, Lingua Italiana dei Segni / italien) ; Emmanuelle Prêtre, (LSF, Langue des Signes Française / français); et de Jolanda Fuhrmann (italien/français);
collaboration de Rolando Raggenbass pour la version écrite des témoignages oraux.
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